SCÈNE I
LE CHŒUR, YHWH, M. LOGOS
Les ténèbres sont partout. Soudain la lumière jaillit et éclaire YHWH. Le vieillard fait les cent pas. Il porte des téfilines et l’habit de prière juif, un talit gadol en laine blanche avec des franges et des bandes noires sur les côtés. A droite, une lampe de banquier et deux piles de dossiers traînent sur un bureau. Deux jeunes mariées de Rafraf forment le chœur.
LE CHŒUR, solennel.
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. [1]
Entre M. Logos, un rond-de-cuir coiffé d’un chapeau melon. Il fait tournoyer sa canne puis s’assied face à la table.
M. LOGOS
Et bien commençons votre majesté. Quelles sont vos doléances ?
YHWH, ennuyé.
La solitude est la pire des compagnes. Elle a lentement infléchi ma volonté et drainé mon énergie… Et cet enclos m’épuise ! Les rires et les pleurs me manquent… Que l’on m’élève donc des autels et que l’on célèbre partout ma gloire ! Rien ne se passe jamais ici ; c'est pire que la mort !
M. LOGOS
La lassitude me gagne aussi. Pourquoi ne créeriez-vous pas quelque chose, à brûle-pourpoint, pour nous divertir ?
YHWH
J’y songe, mais ma volonté ne suit pas…
M. LOGOS
Redoutez-vous une chose en particulier ?
YHWH
Non, je suis en panne d’inspiration. Je ne sais par où commencer.
M. LOGOS
Le syndrome de la page blanche ?
YHWH
Qui sait ?
M. LOGOS
Soufflez, inspirez et expirez… Libérez l’artiste en vous.
YHWH
Vraiment.
M. LOGOS
Mais prenez garde car vous engendrerez un tourbillon.
YHWH
Je serai l’artificier du cosmos ! Rien ne sera plus jamais pareil.
M. LOGOS
Je note...
Le vieillard se frotte la tête, il semble préoccupé.
YHWH
Je m’étais habitué à la solitude. Mais je me dis en moi-même : un règne où l’on ne préside aux destinées de personne vaut-il seulement un kopeck ?
LE CHŒUR, biblique.
Au commencement, l’éclair de Dieu embrasa le cœur du Néant et de la fournaise naquit l’Univers. Tandis qu’il croissait et se refroidissait, le cosmos connut un âge sombre où tout n’était que ténèbres. Puis apparurent les galaxies et les étoiles. Et la lumière fut. La Terre se constitua dans la Voie lactée à partir de la nébuleuse solaire. Quand Théia la heurta, la Terre changea d’axe et enfanta la Lune et les quatre saisons…
YHWH
Silence, maudites conteuses d’histoires ! Je veux terminer cette œuvre au plus vite.
LE CHŒUR, de plus belle.
Le Verbe était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui exista ne fut sans lui. En lui résidait la vie et cette vie était la lumière des hommes. La lumière brillait dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. [2]
M. LOGOS
Il va falloir peupler la Terre de plantes, d’insectes et d’animaux et établir chaque créature dans l’environnement propice : dans les mers, sur le sol ou dans les cieux…
YHWH
Les baleines chanteront mes louanges et les oiseaux danseront pour moi au-dessus des nuages.
LE CHŒUR, caverneux.
La terre était déserte et vide, et les ténèbres couvraient la face de l’abîme. Le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu fit l’étendue et il sépara les eaux qui étaient au-dessous des eaux qui étaient au-dessus. Puis la terre fit germer de l’herbe et des arbres donnant des fruits. Dieu créa les grands cétacés et tous les animaux qui pullulent et se meuvent dans les eaux. Il créa aussi chaque espèce d’oiseaux ailés. La Genèse dura six journées, chacune plus longue qu’un millier de vies. Le deuxième jour, Dieu créa les anges et les démons de feu et de lumière. Le sixième jour, il pétrit la glaise et façonna à son image le premier homme et la première femme. Il bénit et consacra le septième jour qui fut le Chabbat. [3]
[1] Evangile selon Jean.
[2] Evangile selon Jean.
[3] D’après le livre de la Genèse.
Karim Abdellatif.
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